Au cœur de toutes les attentions, la donnée est devenue le centre de gravité d’une gestion de crise territorialisée. Alors, quelles perspectives dessiner pour l’avenir des data et du Cloud après la pandémie ? Éléments de réponse avec Jean-Marc Lazard, CEO d’Opendatasoft, une entreprise qui aide des acteurs publics comme privés à faire parler les data… ces fameuses données avec lesquelles nous avons appris à vivre.
Face à la crise, la donnée comme indicateur et vecteur de solutions
« La crise a mis en évidence que, sans partage de la donnée, dans un cercle restreint à minima, il est impossible de travailler efficacement ensemble. » C’est l’un des premiers constats de Jean-Marc Lazard, pour qui les décideurs ont « pris conscience que l’information partagée était la clé pour appréhender et pour rechercher des solutions collectives à l’urgence sanitaire. » Si l’information existait, elle était morcelée ou difficilement accessible. Le besoin d’une compréhension transversale s’est vite fait ressentir pour mesurer, le plus étroitement possible, les potentiels impacts de la crise. « Le principe de réalité fait loi. Se parler en visio [vidéo conférence], c’est une chose, mais quand il faut travailler collectivement sur un sujet, les mots ne suffisent pas. Seules les données permettent d’infléchir les décisions et les comportements. » Les exemples sont multiples : les données télécom informent sur les mouvements de populations, les statistiques Urssaf décomptent les créations ou fermetures d’entreprises, les opérateurs d’énergie comme Veolia détectent la présence du virus dans les eaux usées… Le dirigeant résume : « tout l’enjeu est d’avoir des éléments tangibles qui dépassent le stade du “chacun à son opinion sur tout”. »
Une fois le diagnostic établi, la donnée devient alors un facteur déterminant pour agir, mettre en relation et apporter la bonne solution au problème qui surgit. « Dans l’urgence, l’agilité est essentielle. Il faut s’ouvrir au maximum à tous types d’expertises pour trouver des solutions rapides et frugales. Le numérique a la vertu de mobiliser beaucoup de ressources en un temps record et de diffuser au plus grand nombre. »
Cette approche se vérifie à toutes les échelles, depuis le sommet de l’État dans la mise en place de plateformes de réservations vaccinales, jusqu’aux municipalités qui ont dû redoubler d’inventivité pour faire face aux défis quotidiens qu’impose la crise. Le CEO d’Opendatasoft cite l’exemple de Dunkerque, qui a mis en ligne, grâce à la solution proposée, un site en une journée pour connecter les producteurs de fruits et légumes aux acheteurs. « Lors du premier confinement, comment et où s’approvisionner quand certains commerces ferment leurs portes ? C’est une application très concrète des data » , commente-t-il. Et les enjeux territoriaux se sont multipliés.
« Une ville, ce n’est pas SimCity ! C’est un organisme vivant. »
Jean-Marc Lazard, CEO d’Opendatasoft
En effet, la crise sanitaire aura mis en lumière des disparités fortes entre les territoires, mais aussi dans la manière d’envisager leurs interactions. Le concept de « smart territories » a émergé, en opposition à une certaine conception programmatique et centrée sur « l’infrastructure » de la « smart city. »
Sans traiter la ville séparément de zones moins urbaines, le smart territory considère le territoire dans son ensemble, à toutes les échelles. Peut-être est-il composé de zones hétérogènes, mais sans doute partagent-elles des problématiques communes, comme la circulation des flux entre habitation et lieu de travail. « Une ville, ce n’est pas SimCity ! C’est un organisme vivant. L’approche infrastructure est importante certes, mais le véritable défi pour les acteurs publics est ailleurs : dans la capacité à rendre le quotidien de leurs administrés plus agréable, plus efficace. » À ce titre, l’interconnexion des territoires, et donc du partage de données, est un sujet crucial, car « les besoins des administrés ne sont pas circonscrits à la ville : il faut aller au boulot, se nourrir, se divertir… Ce n’est pas qu’une histoire de routeurs et de serveurs à un endroit précis. »
L’exemple des territoires ultramarins qui suit est particulièrement frappant, car la contrainte de leur autonomie pousse les acteurs publics à travailler en bonne intelligence, avec une approche holistique et frugale de leurs ressources. Des nuages à l’horizon ? Cela signifie une réduction énergétique dans le réseau électrique. Il s’agit donc de prioriser l’alimentation des hôpitaux ou des écoles par exemple, au détriment des bornes de recharges de voitures électriques. « C’est une approche simple, sans infrastructure disproportionnée ou plateforme d’algorithme complexe, mais qui nécessite que trois acteurs (météo, fournisseurs d’énergie et opérateurs de mobilité) partagent de la donnée alors qu’ils viennent d’un monde différent » , résume Jean-Marc Lazard.
Autre exemple de synergie astucieuse autour de l’usage de la donnée, dans la configuration d’une commune de 4 700 habitants comme Fleury-Sur-Orne : la plateforme data vient compléter le site web de la mairie, en proposant des archives patrimoniales, touristiques, des délibérations du conseil municipal, le calendrier du ramassage des ordures et bien plus.
« Évidemment, à Fleury-sur-Orne, le problème n’est pas le stationnement des trottinettes électriques… Mais habiter une zone moins dense ne doit pas être synonyme d’une qualité de services et d’informations au rabais. Il en va de l’attractivité des territoires. »
Cloud, prérequis d’une donnée accessible et disponible
Les services de stockage Cloud ne sont pas étrangers à l’essor spectaculaire de la donnée dont l’architecture a beaucoup évolué : elle se présente dorénavant sous la forme d’un puzzle : stockage en masse, traitement big data, et espaces de partage et de publication pour le plus grand nombre.
D’après Jean-Marc Lazard, cette approche constitue un changement de paradigme essentiel : « Depuis cinq ans, des technologies disponibles sur le Cloud à la demande, sûres et performantes, ont rendu la circulation de la donnée et de la connaissance associée extrêmement simple et “liquide”. » Cette simplicité d’accès à l’information corrobore une vision, celle que Jean-Marc Lazard a placée au cœur d’Opendatasoft : « Notre conviction, c’est que tout hub de data nouvellement créé est un nœud, un maillage, qui ne peut reposer que sur une infrastructure Cloud. C’est une vision à l’inverse de la centralisation : distribuer des ressources par des moyens standardisés où chacun a la responsabilité ou la propriété de partager ses données. »
Outre les grands principes de cette philosophie, les questions de disponibilités et d’accès immédiats aux data rendent l’usage du Cloud incontournable. « Dans le cadre de partenariats institutionnels, la data est un morceau de leur service public. Il doit être disponible et accessible en permanence. » D’où la question de la protection et de la souveraineté des données.
Ce sujet, qui a fait irruption dans le débat public sous l’angle de la protection des données personnelles, revêt également une importance stratégique pour les organisations. « L’enjeu réside en partie dans la souveraineté de la donnée, mais surtout dans la connaissance qu’elle porte. » À la lumière de cette crise de la COVID, nous avons effectivement constaté que l’information est le nerf de la guerre : qui possède la donnée, pour la transmettre à qui, comment et à quelle fin ? Plus que jamais, la souveraineté de la donnée, mais aussi sa circulation et son partage, seront un enjeu essentiel de la compréhension et d’une perception commune de nos futurs défis, ainsi qu’un allié précieux dans la manière de les relever.