L’économie de l’expérience et le capital immatériel
L’écart de valorisation entre les géants traditionnels et les nouveaux champions n’a jamais été aussi flagrant. D’un côté, des industriels qui produisent des millions de véhicules chaque année mais peinent à dépasser quelques dizaines de milliards de capitalisation. De l’autre, des entreprises dont la production est plus faible mais qui valent plusieurs centaines de milliards parce qu’elles maîtrisent la donnée, les algorithmes et l’expérience utilisateur. Il s’agit de l’exemple entre Stellantis et Tesla, d’un côté, 40 Mld de capitalisation et de l’autre plus de 1000 Mlds alors que le nombre de véhicules vendus est plus faible. Dans l’économie de l’expérience, l’actif stratégique n’est plus l’usine mais l’immatériel.
Cette richesse invisible vit dans nos systèmes d’information, bases de données clients, modèles d’IA, propriétés intellectuelles, jumeaux virtuels… L’enjeu pour les dirigeants est de reconnaître que ce capital immatériel est à la fois la source de leur compétitivité et un actif vulnérable. Sans gouvernance ni contrôle sur l’infrastructure qui l’héberge, ils s’exposent à des risques économiques et juridiques.
La dépendance numérique, un risque méconnu
Beaucoup d’acteurs mettent en avant l’argument : « nos serveurs sont en Europe et les données sont chiffrées ». Ce discours rassurant occulte l’essentiel ; la juridiction du fournisseur. La localisation et le chiffrement ne suffisent pas à assurer une vraie souveraineté numérique. Ce qui compte, c’est le cadre juridique auquel est soumis le prestataire. Un fournisseur soumis au CLOUD Act américain peut être contraint de livrer des données, même chiffrées et stockées en Europe. La souveraineté est donc avant tout une question de droit et de gouvernance.
Cette dépendance n’est pas uniquement liée au risque d’un accès clandestin. Elle est aussi économique et géopolitique. Les exemples se multiplient ! Une suspension brutale d’une plateforme par un hyperscaler, une hausse unilatérale des licences de virtualisation, la désactivation de comptes institutionnels pour des raisons politiques… Chaque incident rappelle que sans maîtrise de la chaîne de confiance, notre patrimoine immatériel peut être compromis.
Construire une chaîne de confiance européenne
Pour reprendre le contrôle, il faut considérer la souveraineté comme une chaîne qui commence par l’infrastructure. Un datacenter n’est pas un simple conteneur, c’est la pierre angulaire de l’autonomie stratégique. La confiance repose sur des partenariats capables de garantir sécurité, conformité, performance et durabilité. Les certifications comme TIER IV ou SecNumCloud sont des preuves tangibles d’engagement. Elles assurent que les données restent en Europe, qu’elles sont traitées en conformité avec le RGPD et qu’elles résistent aux lois extraterritoriales.
Au‑delà des infrastructures, c’est tout l’écosystème européen qui doit être mobilisé. Lors de la conférence CLOUD DAYS, le ministre Jean‑Noël Barrot rappelait que la souveraineté est au cœur de notre compétitivité et que le cloud est un pilier de l’innovation. Il soulignait l’importance des écosystèmes de données et l’obligation de protéger ce « patrimoine souverain ». Pour construire cette autonomie, il faut soutenir les champions locaux, développer des solutions collaboratives européennes et flécher la commande publique vers ces acteurs.
De la prise de conscience à l’action
Reprendre le contrôle ne signifie pas fermer la porte aux innovations étrangères. Il s’agit de choisir ses dépendances en fonction de la criticité des usages. Les données sensibles, la propriété intellectuelle et les processus vitaux doivent être hébergés sur un cloud souverain. Pour d’autres usages, des services de commodité peuvent suffire, à condition d’avoir évalué le risque et prévu un plan de sortie.
Les organisations peuvent s’appuyer sur plusieurs leviers :
- Évaluer la chaîne de risque; cartographier ses données et identifier celles qui relèvent de la souveraineté.
- Privilégier les partenaires européens certifiés; des fournisseurs comme OUTSCALE proposent des infrastructures conformes aux certifications SecNumCloud et ne sont pas sujette aux lois extraterritoriales.
- Diversifier ses solutions collaboratives; suites bureautiques européennes, outils de messagerie chiffrés, services de cybersécurité souverains…
- Participer à l’écosystème; soutenir les initiatives européennes, demander des clauses de réversibilité et encourager la commande publique vers les acteurs locaux.
Vers une souveraineté d’usage
La souveraineté numérique n’est ni un sujet idéologique ni un luxe réservé aux États. Elle est devenue le socle de la résilience et de la compétitivité des entreprises. Dans une économie où la valeur se crée désormais dans l’immatériel, reprendre la maîtrise de son bureau numérique et choisir des partenaires de confiance est vital. Les exemples récents montrent que les décisions prises aujourd’hui auront un impact direct sur notre capacité d’innovation et notre indépendance demain. En misant sur un écosystème européen solide et sur des infrastructures souveraines, nous pouvons transformer ce défi en avantage compétitif durable.